Blablabla avec Anne Guglielmetti

Extraits d’un entretien paru dans la revue
Mirabilia n° 3
de Anne Guglielmetti et Vincent Gilles
www.revue-mirabilia.fr

D’où vient le clown ?

A L’ORIGINE,
du cirque anglais ; le clown – ou clod en anglais – était un garçon de ferme ou d’écurie, qui nettoyait entre les numéros équestres et faisait patienter le public par ses pitreries, ses bouffonneries ou ses parodies.
   Progressivement, sa fonction et son costume ont gagné en importance. il tenait parfois le rôle de « monsieur Loyal » du cirque, et présentait les numéros. Plus tard, on lui a adjoint un acolyte, l’Auguste, qui était un retour à l’ancien clod, probablement parce qu’il fallait réintroduire un peu de vie, de distance, de chahut et de pitrerie. Le clown permettait au public de reprendre son souffle entre des prouesses de plus en plus périlleuses.
   Peu à peu, leurs rôles se sont codifiés : alors que le clown blanc présente bien, parle bien et plaisante intelligemment, l’Auguste – qui est souvent proposé comme son subalterne – fait des facéties, lui désobéit, sabote ses intermèdes par des maladresses volontaires et fait du public le complice de sa rébellion..

Sa dimension transgressive

… Le clown relève du même univers perturbateur et transgressif que le carnaval, ce temps de défoulement collectif que nous ont légué les très lointaines cérémonies dionysiaques. Dionysos était le dieu de l’ivresse et donc de tous les excès licencieux, de toutes les obscénités… Et il arrive effectivement que le clown fonctionne sur ce type de pulsions… Ces ressorts-là font appel aux plus vivantes, aux plus vitales, aux plus élémentaires énergies… Elles suppriment toutes les inhibitions, ce qui est fondamental pour le clown. Mais il est vrai aussi que cette énergie libérée, que l’on a l’audace de montrer, peut être effrayante…

… Le clown peut effectivement gêner, inquiéter, effrayer. Sa fonction « officielle » est, certes, de faire rire, mais comme pour les bouffons le rire est aussi le moyen de faire entendre un message critique. Le clown assume sa liberté et ne s’amende jamais. Il joue avec les codes moraux et sociaux : Cédric Paga parle d’ailleurs de commettre le clown. Sa démesure dans la transgression dérange et suscite la peur parce qu’elle est ressentie comme n’ayant pas de limites.

SES ANCÊTRES,
existent depuis l’aube de l’art dramatique, et sont présents dans toutes les cultures : cortèges burlesques des fêtes de Dyonisos dans la Grèce antique, intermèdes clownesques du Kyôgen intercalés entre deux pièces de Nô, les pitreries de la Comedia dell’Arte, les bacchanales dans les pièces de Shakespeare, etc.

AUJOURD’HUI,
il existe plusieurs écoles ou « familles » de clown.
   LE CLOWN DE CIRQUE s’inscrit dans une tradition ancienne et ses numéros sont sinon écrits du moins parfaitement réglés, au point qu’ils constituent de véritables pièces de répertoire.
   LE CLOWN DE THÉÂTRE, en revanche, est beaucoup moins normé, beaucoup moins codifié. Il n’est pas rare que l’on dise à un apprenti qu’il doit « trouver son clown ». Cette proposition, qui suppose une sorte de quête du graal, m’a toujours laissée perplexe. D’après mon expérience, il s’agit plutôt de « travailler le clown », de le nourrir, le développer, l’enrichir…

 

Ma définition
du clown…

Le clown est un être humain, sexué,
vivant et libre, qui ressent, goûte,
savoure, déteste, et partage.
C’est un souffle, un regard,
un état jubilatoire particulier, très profond,
qui dilate le corps et l’esprit
jusqu’à la démesure.
Le clown a l’énergie fulgurante
de l’enfant qui joue,
qui se crée un univers magique
où tout est possible.
Cette énergie lui met les sens en alerte,
le rend disponible, hyper-réceptif !
La force du clown vient de sa capacité
à passer instantanément
de son jeu à la réalité,
à n’être jamais dupe de son imaginaire.
Il est toujours conscient de lui et du monde :
de ses beautés, de ses horreurs.
Il s’émancipe des codes sociaux
avec délectation jusqu’à la provocation.
Mais il lui arrive aussi d’être perdu
effroyablement perdu…

 

A vrai dire, la limite est très difficile à établir puisqu’elle varie d’un spectateur à l’autre : de l’habitué des spectacles qui va avoir un seuil de tolérance très élevé à la personne ultra-sensible qui sera choquée très rapidement.

… La rue est mon terrain de jeu favori. Sa liberté s’exprime à l’air libre. C’est pour moi la dimension politique du clown. L’attention des passants est aussitôt captée, mais ils sont libres de devenir spectateurs, de prendre ou non cinq minutes, de se mettre ou non en retard.

ÉMOTIONS ET RÉSONANCE
… Traditionnellement, le clown est là pour faire rire. Mais Le clown peut être sombre, et même, triste. Quand le clown joue avec certains éléments de la vie, certaines réalités sociales ou politiques, on n’a pas forcément envie de rigoler et lui non plus !
… Il arrive au clown de traverser des émotions très intenses. Sans jugement il peut passer de l’une à l’autre. Il sait prendre le temps d’atterrir doucement. Ce temps est celui de la résonance. Le clown apparaît alors dans sa force et sa fragilité… Une émotion d’une autre couleur peut alors éclore. Le métier du clown, c’est, aussi, savoir gérer ces temps d’alternance et permettre au public de respirer et de résonner avec lui.

Blablabla
avec
Anne Guglielmetti

Extraits d’un entretien paru dans la revue
Mirabilia n° 3
de Anne Guglielmetti et Vincent Gilles
www.revue-mirabilia.fr

D’où vient le clown ?

A L’ORIGINE,
du cirque anglais ; le clown – ou clod en anglais – était un garçon de ferme ou d’écurie, qui nettoyait entre les numéros équestres et faisait patienter le public par ses pitreries, ses bouffonneries ou ses parodies.
   Progressivement, sa fonction et son costume ont gagné en importance. il tenait parfois le rôle de « monsieur Loyal » du cirque, et présentait les numéros. Plus tard, on lui a adjoint un acolyte, l’Auguste, qui était un retour à l’ancien clod, probablement parce qu’il fallait réintroduire un peu de vie, de distance, de chahut et de pitrerie. Le clown permettait au public de reprendre son souffle entre des prouesses de plus en plus périlleuses.
   Peu à peu, leurs rôles se sont codifiés : alors que le clown blanc présente bien, parle bien et plaisante intelligemment, l’Auguste – qui est souvent proposé comme son subalterne – fait des facéties, lui désobéit, sabote ses intermèdes par des maladresses volontaires et fait du public le complice de sa rébellion..

SES ANCÊTRES,
existent depuis l’aube de l’art dramatique, et sont présents dans toutes les cultures : cortèges burlesques des fêtes de Dyionisos dans la Grèce antique, intermèdes clownesques du Kyôgen intercalés entre deux pièces de Nô, les pitreries de la Comedia dell’Arte, les bacchanales dans les pièces de Shakespeare, etc.

AUJOURD’HUI,
il existe plusieurs écoles ou « familles » de clown.
   LE CLOWN DE CIRQUE s’inscrit dans une tradition ancienne et ses numéros sont sinon écrits du moins parfaitement réglés, au point qu’ils constituent de véritables pièces de répertoire.
   LE CLOWN DE THÉÂTRE, en revanche, est beaucoup moins normé, beaucoup moins codifié. Il n’est pas rare que l’on dise à un apprenti qu’il doit « trouver son clown ». Cette proposition, qui suppose une sorte de quête du graal, m’a toujours laissée perplexe. D’après mon expérience, il s’agit plutôt de « travailler le clown », de le nourrir, le développer, l’enrichir…


Ma définition

du clown…

Le clown est un être humain, sexué,
vivant et libre, qui ressent, goûte,
savoure, déteste, et partage.
C’est un souffle, un regard,
un état jubilatoire particulier, très profond,
qui dilate le corps et l’esprit
jusqu’à la démesure.
Le clown a l’énergie fulgurante
de l’enfant qui joue,
qui se crée un univers magique
où tout est possible.
Cette énergie lui met les sens en alerte,
le rend disponible, hyper-réceptif !
La force du clown vient de sa capacité
à passer instantanément
de son jeu à la réalité,
à n’être jamais dupe de son imaginaire.
Il est toujours conscient de lui et du monde :
de ses beautés, de ses horreurs.
Il s’émancipe des codes sociaux
avec délectation jusqu’à la provocation.
Mais il lui arrive aussi d’être perdu
effroyablement perdu…

Sa dimension transgressive

… Le clown relève du même univers perturbateur et transgressif que le carnaval, ce temps de défoulement collectif que nous ont légué les très lointaines cérémonies dionysiaques. Dionysos était le dieu de l’ivresse et donc de tous les excès licencieux, de toutes les obscénités… Et il arrive effectivement que le clown fonctionne sur ce type de pulsions… Ces ressorts-là font appel aux plus vivantes, aux plus vitales, aux plus élémentaires énergies… Elles suppriment toutes les inhibitions, ce qui est fondamental pour le clown. Mais il est vrai aussi que cette énergie libérée, que l’on a l’audace de montrer, peut être effrayante…

… Le clown peut effectivement gêner, inquiéter, effrayer. Sa fonction « officielle » est, certes, de faire rire, mais comme pour les bouffons le rire est aussi le moyen de faire entendre un message critique. Le clown assume sa liberté et ne s’amende jamais. Il joue avec les codes moraux et sociaux : Cédric Paga parle d’ailleurs de commettre le clown. Sa démesure dans la transgression dérange et suscite la peur parce qu’elle est ressentie comme n’ayant pas de limites.

A vrai dire, la limite est très difficile à établir puisqu’elle varie d’un spectateur à l’autre : de l’habitué des spectacles qui va avoir un seuil de tolérance très élevé à la personne ultra-sensible qui sera choquée très rapidement.

… La rue est mon terrain de jeu favori. Sa liberté s’exprime à l’air libre. C’est pour moi la dimension politique du clown. L’attention des passants est aussitôt captée, mais ils sont libres de devenir spectateurs, de prendre ou non cinq minutes, de se mettre ou non en retard.

ÉMOTIONS ET RÉSONANCE
… Traditionnellement, le clown est là pour faire rire. Mais Le clown peut être sombre, et même, triste. Quand le clown joue avec certains éléments de la vie, certaines réalités sociales ou politiques, on n’a pas forcément envie de rigoler et lui non plus !
… Il arrive au clown de traverser des émotions très intenses. Sans jugement il peut passer de l’une à l’autre. Il sait prendre le temps d’atterrir doucement. Ce temps est celui de la résonance. Le clown apparaît alors dans sa force et sa fragilité… Une émotion d’une autre couleur peut alors éclore. Le métier du clown, c’est, aussi, savoir gérer ces temps d’alternance et permettre au public de respirer et de résonner avec lui.